Lorsque nous nous représentons un phoetus dans le ventre d'une mère, nous ne pouvons imaginer qu'une fois à l'extérieur, il devra lutter contre ses propres parents pour survivre. Dans la majorité des cas, c'est bien de la mère dont viendra le danger. Par ses multiples tentatives d'asphyxie, d'étranglement, d'empoisonnement, elle peut commettre l'impensable :

tuer son propre enfant.

Syndrome de Munchausen par procuration parce que bon nombre de pédiatres et même de psychiatres sont incapables d'imaginer des mères infligeant de telles souffrances à leurs enfants. De plus, ces médecins refusent d'admettre qu'ils sont parfois l'instrument de cette maltraitance.

LE SYNDROME DE MUNCHAUSEN PAR PROCURATION

 

Le dossier : "santé publique" du magazine SCIENCES ET AVENIR titrait : "Infanticides sous surveillance médicale"

Des mères qui étouffent ou qui empoisonnent leurs enfants pour mieux les soigner… Totalement méconnu en France, le syndrome de Munchausen par procuration serait à l'origine de 20% des morts subites inexpliquées du nourrisson.

Cette mère souffle dans la sonde gastrique de son nourrisson

Une chambre d'hôpital au Texas. Une jeune mère, soupçonnée de développer le syndrome de Munchausen par procuration, a été placée sous vidéosurveillance. Elle surveille attentivement la porte. Très vite, elle débranche la sonde gastrique de son nourrisson et souffle de toutes ses forces dedans. L'enfant hurle de douleur. Ces images ont permis l'arrestation de la mère soupçonnée d'avoir déjà tué trois autres de ses enfants en bas âge. Des décès classés " morts subites du nourrisson ".

Michel Marie nous commente les images : " Contrairement à ce que vous pensez, cela n'est pas une tentative d'infanticide… Cette mère ne veut pas tuer son enfant, elle veut juste le rendre malade pour attirer l'attention de l'équipe médicale sur elle. Les pédiatres anglais appellent ce comportement " le syndrome de Munchaussen par procuration ". Si ce phénomène est très connu dans les pays anglo-saxons, il est totalement méconnu en France… Quand un médecin voit un bébé bien portant décédé dans son sommeil, il indique " mort subite du nourrisson " sur le certificat de décès. Avant même de connaître le diagnostic.

   

Sciences et Avenir : Pourquoi n'existe-t-il pas d'études épidémiologiques ?

Sir Roy Meadow : Beaucoup de gens ne veulent pas croire à l'existence de ce syndrome. Il y a 22 ans, lorsque j'ai été confronté à cette mère qui empoisonnait son enfant avec du sel, je m'étais adressé aux services sociaux. Ils m'ont pris pour un fou.

Sir Roy Meadow est pédiatre et professeur. Il a découvert le syndrome de Munchausen il y a 22 ans. A l'époque, il était spécialiste du rein chez l'enfant dans un hôpital en Irlande. Un jour, un enfant , qui avait séjourné dans de nombreux hôpitaux pour des problèmes rénaux graves, lui a été présenté. Malgré tous les tests, l'équipe médicale était incapable de trouver la cause exacte de son état.

Les enfants, ces victimes de l'amour

… D'une docilité étonnante et peu commune, les petites victimes paraissent détachées des supplices multiples auxquelles elles sont soumises. Ces enfants, souvent très jeunes, acceptent sans difficulté les " missions " dont leurs mères les chargent. Pour le Dr Annick Le Nestour, leur processus de réflexion est simple : " Si être avec maman, c'est souffrir, je vais aimer la souffrance qu'elle m'impose. " Puis, ils se feront un jour à eux-mêmes ce que leur mère leur fait. Ils se feront et feront du mal. Il y a là un phénomène classique de reproduction avec identification massive au parent maltraitant… " Je savais et je ne savais pas. Je ne pouvais pas me dire que c'était ma mère qui me rendait malade ", explique Caroline. " Pour l'enfant, trahir sa maman, c'est un peu risquer de se faire abandonner, d'être rejeté", explique Festus Body Lawson. Alors, par amour, il préfère se taire. "C'est l'angoisse d'abandon qui le conduit à tromper, lui aussi, le corps médical."

Anne-Marie Raphaël

Pour bien comprendre le syndrome de Munchausen par procuration, il faut d'abord connaître le "Munchausen simple".

Le syndrome de Munchausen simple, contrairement au syndrome de Munchausen par procuration, est une violence qui s'exerce sur soi-même et non sur des enfants. Les malades simulent des affections pour être hospitalisés et subir des opérations inutiles. Selon Sir Roy Meadow, 41% des enfants victimes d'un syndrome de Munchausen par procuration développent un syndrome de Munchausen simple à l'âge adulte. Un cycle qui se perpétue de génération en génération. Fait confirmé par Annick Le Nestour, pédopsychiatre : "Quand les personnes atteintes du syndrome de Munchausen deviendront parents, un grand nombre d'entre elles développeront un syndrome de Munchausen par procuration sur leurs propres enfants."

... Pourquoi un tel processus ?

"Souvent, ces gens ont eu des carences affectives dans leur enfance. Pour d'autres, le syndrome est le fruit d'un contact précoce avec la médecine dont ils se souviennent de manière heureuse car ils avaient bénéficié d'une certaine attention qu'ils ne trouvaient pas chez eux." Le Dr Fénelon ajoute : "C'est donc la solitude qui les pousse vers ce mode de vie, car ailleurs ils n'arrivent pas à se créer des liens sociaux..."

Extrait de "Le Syndrome de Munchausen", Dr Gilles Fénelon

 

Il apparaît plus que probable que le besoin d'attention excessif qui caractérise les sujets atteints du syndrome de Munchausen soit la conséquence malheureuse de carences narcissiques apparues dès l'enfance.

A partir de 1914, Freud décrit le narcissisme comme une sorte d'investissement pulsionnel indispensable pour le bon fonctionnement de l'être. Il s'éloigne de l'idée de pathologie et se rapproche de celle de structuration. Il est donc nécessaire au sujet lors de son développement de se constituer un narcissisme dans des proportions mesurées. Entendons par là qu'il en faut ni trop ni trop peu. C'est l'excès, qui la encore, dans un sens ou dans l'autre, marque la pathologie. Freud considérait les psychoses, et plus précisément la manie et la mélancolie, comme des maladies narcissiques dues à un narcissisme démesuré ou insuffisant. Il les appelait : " psychonévroses1 narcissiques ". Avec le syndrome de Munchaussen, nous approchons de très près cette idée.

C'est toujours la perturbation profonde de la relation du sujet à la réalité qui reste le critère essentiel de la psychose, et nul doute que dans le cas du syndrome de Munchausen la réalité a de loin été masquée par une force pulsionnelle impossible à maîtriser. Enfermé dans son besoin maladif d'attention, le malade passe à l'acte de manière compulsive, sans prendre réellement conscience de la morbidité des troubles dont il est atteint. Un moi dédoublé, une réalité déniée, une projection implacable, seront les mécanismes de défense dont usera le sujet atteint pour " s'accommoder " de la réalité.

Cette maladie nous réconcilie avec l'idée que la forme de psychose la plus redoutable, n'est pas obligatoirement celle qui fait le plus de bruit. Les sujets atteints sont à chaque fois au dessus de tout soupçon et sont plutôt à plaindre. On pourrait même ajouter que l'art du psychotique réside principalement dans la capacité qu'il(elle) a à coller à la réalité tout en la déniant.

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1Psychonévrose : Terme utilisé par S. Freud pour désigner des affections où la médiation psychique est surdéterminée par les conflits infantiles et leurs modes de défense spécifiques (l'hystérie, la névrose obsessionnelle, la phobie et certaines psychoses, dont la paranoïa). Le terme a disparu depuis la distinction entre névrose et psychose.