J'ai tellement envie d'avoir envie", me disait une jeune mère. Depuis qu'elle a accouché, et sans jamais avoir pu imaginer que ça lui arriverait, elle se sentait " vidée " de son désir . Comme s'il s'était évaporé.
Comme beaucoup d'autres jeunes mères dans ce cas, au début elle a essayé de se rassurer... "ça va passer, ça ne peut pas durer, ça doit partir, ça va cesser...". Au départ, c'est la transformation du corps qui est incriminée, et l'on pense aux nuits sans sommeil, à l'allaitement, au corps transformé. Pourtant, souvent, alors même que tout devrait rentrer dans l'ordre, que l'allaitement est stoppé, que la gymnastique post natale a fait son effet sur les abdominaux et le périnée, le désir ne revient pas. Le doute commence alors à poindre : " Et si ça ne revenait jamais ? "
Comprendre cette crainte, c'est d'abord interroger la nature du désir. La psychanalyse nous invite à penser le désir comme se situant dans l'espace entre le besoin et la demande. Le besoin étant de dormir, de manger, de boire. La demande étant toujours, au delà de l'objet demandé, demande d'amour adressée à l'autre. Demande impossible à combler parce qu'elle renvoie à nos premières amours, nos premières déceptions. Le désir lui, se situerait dans un rappel, non conscient, d'anciennes émotions, véhiculées, sans pouvoir être repérées par la personne qui les éprouve, par des choses aussi subtiles qu 'une voix, un regard, une odeur. C'est donc dans l'alchimie complexe de ces deux désirs, que va se soutenir la rencontre de ce couple qui deviendront le père et la mère de cet enfant que nous évoquons.
Mais donc, me direz-vous, si cette rencontre initiale, celle qui supportait le désir qui jaillit entre les deux partenaires, est si ancienne, pourquoi donc serait elle ébranlée par l'arrivée d'un enfant qui est quand même le fruit de cette rencontre, de cet amour ? Et effectivement, l'on pense à la phrase traditionnelle de clôture des comtes de fées " Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". .. et continuèrent à se désirer ardemment.
Pourtant, c'est bien d'une redécouverte qu'il s'agira entre les époux. Ils se sont désirés, aimés. Ils sont devenus parents. Ce changement ( de corps, de statut, de place) amène des transformations majeures qui pourront ouvrir le couple à de nouveaux horizons, mais aussi parfois l'éloigner, lui amener avec l'arrivée de l'enfant, une crise profonde, voir une rupture.
En fait, la grossesse, l'accouchement et la naissance constituent pour une femme, pour un couple, une traversée , au sens de quelque chose qui est franchi, sans que personne ne sache au départ, ni comment sera le voyage, ni comment imaginer l'autre rive. La grossesse est un moment privilégié pour les femmes enceintes d' apparition de processus que j'appellerais, comme d'autres, l'inconscient à fleur de peau : " Comment être une femme et plus seulement la fille de ma mère ?, la fille de mon père ? "Ma mère était elle femme aussi ?", "Qu'est ce que c'est être une femme?", "Suis-je une femme maintenant que je suis une mère ?"
L'enfant va alors prendre une place dans tout ce questionnement qui pourra, pour de nombreuses femmes devenir tellement important, qu'il va " détourner " à son profit une bonne partie de son énergie psychique générale et donc aussi émotive, sensuelle, sexuelle. Freud le faisait déjà remarquer, en disant que pour les mères, l'enfant qu'elles mettent au monde est à la fois une partie de leur propre corps qu'elles aiment comme elles aiment leur corps et aussi un nouvel être humain auquel elles vont accorder un sentiment amoureux . L'enfant est alors, inconsciemment investit d'un intérêt érotique puissant
Inconsciemment disais-je, puisque c'est malgré le souhait conscient des jeunes mères de redevenir femme et ne pas délaisser leur maris que tout cela s'articule. C'est avec beaucoup de souffrance très souvent qu'elles y sont confrontées ... "J'ai tellement envie d'avoir envie". Mais comme tout le monde sait, le désir échappe au souhait conscient.
C'est pourtant vital pour un nouveau né d'avoir dans les premiers moments de sa vie une mère "toute entière dévouée à lui". Et l'on connaît les dégâts que produisent la trop grande absence d'attention d'une mère ou de quelqu'un d'autre faisant fonction de mère à cette période là. Pourtant, et assez rapidement, c'est bien d'une fonction d'apaisement du rythme présence-absence de la mère, dont l'enfant a besoin.
La mère donc, à partir de cette " toute présence " indispensable, est amenée progressivement à conduire son propre enfant, à se représenter et à pouvoir supporter son absence. C'est bien dans ce passage délicat, et pour l'enfant, et pour la mère que parfois le désir se fige, comme quelque chose qui vient dire " nous ne sommes pas prêts, ni bébé, ni moi à penser cette séparation progressive ". Et l'on sait bien que certains adultes ont encore parfois beaucoup de mal à penser ce cap même lorsque de nombreuses années se sont écoulées. Parfois ils sont devenus parents eux même et n'ont pas encore franchi cette étape. On pense ainsi au classique mais non moins pertinent tiraillement d'un homme entre sa mère et sa femme.
Et si l'on mixe cela avec un courant puissant au niveau du social qui sape, qui décape, qui égratigne l'importance d'un père entre une mère et son enfant, l'importance d'un tiers, ou pour le dire autrement, l'importance de la fonction paternelle, on comprend que pour un certain nombre de femmes devenues mères, ce passage deviendra : il n'y a pas de place pour un homme, fut il le père de mon enfant.
Je soutiendrai pour ma part et pour conclure, que toutes ces difficultés sont inéluctables. Le fait de pouvoir être à la fois toute mère et de redevenir femme est un passage difficile pour presque toutes les mères. Arriver d'une part, à garantir à son enfant cette fonction d'apaisement, mais pas trop, à savoir l'ouvrir aussi au monde et d'autre part, rendre une place de partenaire sexuel à son homme, est réellement une étape charnière. Charnière, au sens de ce qui relie et ce qui permet d'articuler deux éléments différents : être une femme, être une mère. Et l'on comprend ainsi qu'un certain nombre d'entre-elles se rangent pendant de nombreuses années, voir pendant toute leur vie dans un des deux registres mais pas dans les deux à la fois : seulement mère ou toute femme.
Cette étape charnière, comme une sorte de passage obligé, une étape initiatique, vient par les difficultés qu'elle produit, souligner ainsi indirectement l'importance des enjeux. On pourrait alors penser que paradoxalement, c'est notre époque qui gomme toutes ces dimensions fondamentales présentes dans l'accès à la maternité, en survalorisant l'image et la représentation d'une femme-femme, à la fois, mère, mais pas trop, travaillant le jour mais séduisante dès que la nuit tombe, super woman toujours prête à être, tantôt efficace, tantôt bonne mère, tantôt femme fatale.
Comme si l'on accordait plus aux jeunes mères le temps qu'il leur est nécessaire pour découvrir, apprendre, comprendre, apprivoiser cette étape. En gommant la difficultés de celle-ci, on conduit au sentiment d'échec ou d'incapacité, les jeunes mères qui s'y risquent. Et en effet, il semble que notre époque n'a plus le temps pour rien. C'est pourtant oublier que l'humain ne peut se compacter, se standardiser, " il y a toujours un reste , quelque chose qui ne peut se résumer, se classer, disent les analystes. Reste, qui nous fait aimer déraisonnablement, qui nous fait apprendre, qui nous permet de grandir... Si on nous en laisse le temps....
Danielle Bastien
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