L'INCESTE. FANTASME OU RÉALITÉ ?
Numéro 2

Il y a autour d'affaires incestueuses réelles, une énorme irruption de fantasmes chez les travailleurs sociaux et, pourquoi pas, chez les psys et les fonctionnaires judiciaires.
Freud a appelé traumatisme ce qu'on peut attribué à l'insuffisance de l'amour maternel, à la naissance d'un frère ou d'une soeur etc... et surtout au traumatisme sexuel. Freud l'a appris à son détriment, le traumatisme sexuel fait aussi partie des mythes, longuement cultivé au début du siècle. Freud s'étonnait lors de ses premières cures du nombre élevé de pères présentés par ses patientes comme de vils suborneurs. Il lui a fallu un certain temps pour comprendre qu'une partie d'entre elles, mêlait leurs fantasmes de séduction oedipienne du père à la fable du séducteur.
Nous devons toujours avoir présent à l'esprit qu'un interrogatoire maladroit, une attitude d'apitoiement inconsidéré peut favoriser "l'aveu" et une mise en accusation erronée. On sait combien de délit de "sale gueule" peut peser lourd dans une mise en accusation . Je sais aussi les très grands progrès accomplis dans la formation du personnel judiciaire qui l' a rendu plus prudent et plus compétent.
Si nous remontons quelques années en arrière, l'interrogatoire de très jeunes enfants n'étaient pas rares. Je me souviens du récit d'une femme très touchante qui racontait qu'à quatre ans, interrogée par les gendarmes, elle avait été témoin à charges contre son père accusé de viols répétés de sa soeur aînée. Elle a éclaté en sanglot à l'évocation de cette scène. Comment pouvait-elle comprendre qu'elle avait participé à la mise sous les verrous d'un père, qu'à son âge, âge oedipien par excellence, elle aimait. C'est au parloir de la prison qu'elle s'était sentie écrasée de culpabilité. Elle avait pris le savoir en horreur au point que, malgré toute sa bonne volonté, elle était restée une élève médiocre et, plus tard, quand elle est devenue à son tour mère de famille, elle ne parvenait pas à faire sortir ses enfants d'une véritable phobie de tout savoir scolaire.
J'ai eu des entretiens avec une femme dont les deux enfants de six et huit ans, fille et garçons se retrouvaient la nuit dans le même lit et se livraient à des jeux sexuels. Elle se déclarait incapable de leur faire respecter les limites et élevait toutes sortes d'objections à la séparation de ses deux enfants alors que leur maison était assez grande pour les loger à deux étages différents. Elle m'a appris par la suite qu'elle même avait eu un frère aîné, arriéré mental, qui lui "imposait" des relations sexuelles qu'elle croyait ne pas devoir lui refuser "parce qu'il était si malheureux".
Ce garçon à qui la famille n'avait apporté aucune limite avait été mis à l'hôpital psychiatrique du fait de ses violences et s'y était rapidement dégradé. Ce rapport pervers à ce frère aîné induisait le regard pervers qu'elle portait sur ses propres enfants et sa complaisance à retrouver une jouissance interdite.
Les relations incestueuses entre frères et soeurs ne sont pas rares mais n'en ont pas moins des effets ravageant.
Une femme portugaise avait fui son village à la mort de son frère. Elle se sentait obscurément coupable de la mort de ce frère, alors qu'elle s'était occupée de lui avec le plus grand dévouement. Elle avait entretenu avec lui une relation très tendre depuis son enfance. Elle ne me dit jamais si cette relation se transforma en relation incestueuse autrement que dans son fantasme. Pour se punir en arrivant en France elle avait épousé un homme de son village particulièrement frustre et qu'elle n'aimait pas. Leur premier enfant était psychotique et c'est de lui dont je m'occupais. Le père rejeté s'enfonçait dans l'alcoolisme. Elle-même enfin gratifiée par la venue d'une jolie petite fille, continua de refuser le bonheur et se laissa mourir d'un cancer.
Parmi les immigrés, nous rencontrons parfois des symptomatologies qui rappellent celles des malades de Freud au début du siècle. Une autre femme portugaise se disait être une sainte et elle prétendait que les habitants de son village demandaient à Rome son procès en béatification parce qu'elle avait réussi à résister aux violents assauts d'un oncle. L'état de sa petite culotte avait été la preuve de l'énergie qu'elle avait déployé à se défendre. Elle vivait en France avec un mari qu'elle méprisait et qu'elle soupçonnait d'éprouver des désirs coupables vis à vis de leur fille unique. Cette enfant de 13 ans se débilitait. Elle ne pouvait rien ignorer de cette légende tant de fois répétée. Se débiliter était sa façon de tenter d'échapper aux fantasmes hystériques maternels.
J'ai reçu une jeune et jolie adolescente à la demande de sa mère. Elle soupçonnait le père de l'enfant qui prenait chez lui sa fille un dimanche sur deux à la suite du jugement en divorce des deux parents. Elle l'accusait d'entretenir des relations perverses avec sa fille qui le niait et qui réclamait de voir son père. La mère tirait sa certitude de ce qui n'était probablement chez elle que fantasme, du fait que son mari avait été lui- même l'objet sexuel d'un père pervers. Qu'attendait-elle d'une thérapeute qui aurait le rôle de vigile et qui aurait eu à dénoncer le père qui allait inéluctablement être coupable. L'enfant elle se taisait et dessinait imperturbablement des paysages poétiques et déserts. Quelle identification était-elle possible pour elle?

Denise Vincent

Je continuerai cette rubrique sur l'inceste si elle vous intéresse. J'attends vos réactions.  Inceste Numéro 3

 Denise Vincent, psychanalyste de l'association freudienne internationale.
Secrétaire de rédaction de la revue de l'association freudienne : La psychanalyse de l'enfant.

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