L'INCESTE. FANTASME OU RÉALITÉ ?
Numéro 4

Le fantasme fait fi du principe de réalité. Tout dit la fragilité des témoignages.
La réalité psychique n'est que l'appréciation de la réalité à travers l'écran du fantasme.
Il est des mères et des filles capables de faire naître un climat de suspicion sur tout leur entourage. Rien de tel qu'un couple mère-fille pour mêler le fantasme et la réalité de façon si étroite qu'elles-mêmes n'arrivent plus à s'y reconnaître. Au cours d'une analyse, une jeune fille de 23 ans qui réussit brillamment sa vie professionnelle, se plaint de rester frigide dans ses relations amoureuses. Mère et fille attribuent les difficultés sexuelles de la fille à une relation précoce qu'elle aurait eu à quatre ans avec le fils de la gardienne de la résidence dans laquelle elle habitait, de dix ans son aîné. Elle faisait du vélo dans le jardin et ce garçon l'aurait attirée dans une remise pour se livrer avec elle à des jeux érotiques. Chose étrange son frère a le même age que le fils de la gardienne et elle a eu avec lui une relation très tendre. La mère, à qui elle raconte ses séances (signe qu'elles n'ont nullement décollé l'une de l'autre) insiste sur la véracité de cette séduction, alors que la patiente a bien du mal à reconstituer le puzzle. J'ai la désagréable impression que la mère cherche à occulter une histoire plus trouble avec le frère aîné.
C'est sur ce point d'énigme que la patiente interrompt son analyse, comme elle avait interrompu l'analyse qu'elle avait entamée avec un autre psychanalyste l'année précédente. Elle est retournée à l'atmosphère chaude avec sa mère et son frère aîné qui habitaient à peu de distance les uns des autres, pendant que le père, absorbé par son travail, restait tenu à l'écart. Ce frère, dont on vantait la réussite professionnelle, n'avait pu lier avec aucune autre femme un lien solide. C'est autour de la mère que s'était tissée cette toilé d'araignée d'où ses enfants ne réussissaient pas à s'extraire.
Fantasme ou réalité de l'inceste, c'est sur ce point d'énigme que bute parfois l'analyse. L'engluement dans le fantasme peut bloquer totalement le processus psychique.
Une jeune femme en analyse déjà depuis quelques mois fait un jour une allusion très rapide au fait que ses quatre frères aînés avaient eu d'une manière prolongée des relations sexuelles avec elle qui était la plus jeune d'une famille nombreuse. Elle énonce cela sans émotion apparente, sans culpabilité. Est-ce la réalité, est-ce un fantasme? Elle est très séductrice et elle entend rester maître des situations assez rocambolesques dans lesquelles elle se met souvent. Sa vie professionnelle la fait vivre au contact d'enfants très perturbés. Elle se montre en général compétente, organisée, elle déploie une très grande énergie, puis il arrive qu'elle se sente piégée dans des situations qu'elle a créées elle-même et dont elle se sent incapable de sortir. Alors elle tombe malade et met sa vie en danger. Elle souffre de douleurs vertébrales et d'une intense contracture au bras qui déconcerte les médecins qui ne trouvent pas leur origine clinique. Il semble que cette contracture mime un bras de fer comme si elle lançait aux médecins un défi d'avoir à la guérir. Il apparaît que cette attitude de défi est celle qu'elle a eu auprès de ses frères qui croyaient lui imposer des jeux sexuels. Ils ont été pour elle l'occasion de ressentir un sentiment de maîtrise et de toute puissance. C'est avec eux qu'elle a mis au point toutes les armes de la séduction. Mais à d'autres moments elle se sent dévalorisée, humiliée et elle a recours aux processus de somatisation qu'elle présente depuis l'enfance: allergie, asthme, grandes fatigues. Elle oscille entre la position dépressive où elle est pur objet et la position où elle croit rester maître du jeu. Chez elle réalité et fantasme sont intimement liés. Elle passe même par des moments de dépersonnalisation. Faute d'avoir eu des parents suffisamment présents ( je ne développerai pas ce point essentiel de l'analyse) pour dire non à l'inceste répété sous leur toit, elle perd ses repères dans le réel. Une fois, au sortir de son travail, après un déménagement relativement récent, il lui est arrivé de ne plus retrouver son immeuble. Elle avait "oublié son adresse" et était passée à plusieurs reprises sous ses fenêtres sans les reconnaître. Bien sûr sa vie sexuelle n'est pas heureuse, bien qu'elle n'ait aucune difficulté à séduire tous les hommes qu'elle rencontre.

J'attends vos réactions.

 Denise Vincent, psychanalyste de l'association freudienne internationale.
Secrétaire de rédaction de la revue de l'association freudienne : La psychanalyse de l'enfant.

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