L'inceste est la transgression de l'interdit d'une
relation sexuelle entre individus dont les degrés de parenté
sont spécifiées dans chaque culture.
La psychanalyse donne une place particulière
à l'interdit fondamental du lien de jouissance à la mère.
L'interdit de l'inceste est le principe fondateur du complexe d'oedipe.
Sa prohibition empêche pour l'être humain deux tendances fondamentales:
tuer le père et s'emparer de la mère. Si l'inceste dans les
faits, comme passage à l'acte, occupe de nos jours le devant de
la scène, c'est que l'interdit de l'inceste, au plan psychique,
est bien difficile à saisir.
Où est-ce que ça commence, où
est-ce que ça finit ?
Des interdits, de nos jours, personne n'en veut,
aujourd'hui plus qu"autrefois et pourtant personne ne peut en faire l'économie.
L'interdit est contre nature, c'est le collage qui est naturel: l'enfant
collé à sa mère. C'est cependant l'interdit qui va
faire qu'un paquet de viande devient un sujet. Cet indifférencié,
c'est ce que m'a fait entendre un homme qui faisait des avances non déguisées
à la fille de sa femme, âgée de treize ans. Cet homme
dénoncé par sa femme, j'avais cru bon de le convoquer. Dès
la salle d'attente et devant la mère et la fille, il avait déclaré:
"de la vieille carne (en montrant sa femme) ce n'est pas fameux, du veau
(montrant cette jeune fille) c'est meilleur". Ces propos cyniques il les
avaient souvent tenus devant ses camarades de beuverie. La mère,
femme extrêmement froide, m'avait expliqué que pour que sa
fille soit acceptée dans un collège religieux, il était
de bon ton pour les élèves d'avoir un père... Elle
n'aimait pas les hommes et avait éjecté rapidement le géniteur
de l'enfant et elle avait épousé celui-là "pour les
convenances". Elle, pas plus que ce beau père incestueux, ne respectait
la loi symbolique.
Je vais vous donner des exemples très différents ,des observations cliniques où l'inceste joue un rôle déterminant. Il n'y a pas que l'inceste avec le père ou avec la mère, nous le verrons. Il y a aussi l'inceste entre frère et soeur et qui n'est pas sans conséquence.
L'inceste du garçon avec sa mère est celui qui est le plus rarement accompli. Par contre c'est celui qui imaginairement occupe la plus grande place dans notre vie inconsciente. Ce qu'on appelle une névrose obsessionnelle est l'effet de ce désir inconscient, jamais réalisé, mais qui obsède le névrosé dans son désir d'occuper la première place auprès de sa mère et pour cela de tout faire pour éliminer le père ou ses représentants dans la vie sociale: le maître, le chef ou les représentants quels qu'ils soient de l'autorité. Quant à l'hystérique, elle cherche de toutes les manières à se distinguer, à attirer l'attention de celui qui occupe la place paternelle, elle le provoque, elle le combat et même si elle échoue elle remonte toujours au combat en y investissant toutes ses énergies. Freud nous dit que le petit obsessionnel ou la petite obsessionnelle a trop joui de sa relation privilégiée à sa mère dans sa petite enfance. Et que l'hystérique , garçon ou fille n'a pas assez joui, qu'il a été frustré d'avoir été écarté de cette relation exclusive à sa mère. Faute de pouvoir surmonter cette frustration, l'hystérique attirera l'attention par des symptômes somatiques baladeurs tels que les maux de ventre, les migraines, les douleurs mal situées qui font le cortège de tout ce que nous demandons de soigner...Vous voyez la difficulté de maintenir le juste milieu dans cette relation essentielle à la mère.
Que se passe t-il quand dans le réel le
père incestueux passe à l'acte ? Tous les pères incestueux
sont-ils pervers ? Il est difficile de donner une réponse univoque.
Une partie des pères incestueux se caractérise par une vie
affective pauvre et frustre. C'est souvent dans un état addictif
intense qu'ils passent à l'acte. Une grande partie d'entre eux passent
à l'acte sous l'emprise de l'alcool. Je me souviens d'un facteur
qui accompagnait sa tournée de nombreuses libations. Le soir, en
rentrant il violait une de ses filles, après avoir mis sa femme
et ses autres enfants à la porte. Il était lui-même
fils d'alcoolique et avait connu de ce père toutes sortes de violence.
La transgression de l'interdit de l'inceste se fait l'équivalent
de la transgression de l'interdit du meurtre du père. Le désaveu
se fait dans la transgression de la loi.. Il n'est pas impossible que ce
père violeur cherchait à régler ses comptes avec son
propre père. En s'en prenant à ses filles, c'est peut être
sa culpabilité d'enfant violé qu'il voulait atteindre. Le
père transgresseur est un fils qui n'a connu que l'arbitraire paternel
et non pas sa loi. Pour beaucoup c'est dans l'imaginaire que réside
le fantasme de l'inceste. Chez l'obsessionnel ce n'est pas le fantasme
de l'inceste qui est le plus rapidement repérable, c'est celui du
meurtre. Le meurtre accompli est la hantise de l'obsessionnel. Il ne sait
jamais si, sans s'en être aperçu, il n'aurait pas perpétré
un meurtre, celui de son père. Dans une cure, un des premiers rêves
apportés par le patient met en scène l'enterrement de son
père. Il est avec des camarades et ne peut s'empêcher de rire
et trouble la cérémonie. Dans la réalité ce
patient n'a aucun camarade, ni ami et il mange seul au restaurant d'entreprise
contrairement aux habitudes. On voit comment le refus de toute sociabilité
le prémunit de rire avec des camarades, alors que le rire lui-même
le dénoncerait aux yeux de tous comme l'assassin de son père....
L'autre face du fantasme apparaît dans
un autre rêve" Il est dans un bordel, éclairage suggestif,
voile, ombre. Une jeune fille très belle est appuyée le long
d'un pilier. Il la désire, mais son attention est attirée
par ce qu'il voit au sol, des pénis tranchés épars.
Il est pris d'un profond malaise quand il reconnaît dans cette jeune
fille, sa propre fille de douze ans. La crudité du fantasme montre
l'imminence de l'acte incestueux chez un homme qui ne s'autorise les relations
sexuelles qu'avec des prostituées. Malgré les précautions
dont il s'entoure, le désir incestueux pour sa fille (qu'il a pu
éprouvé autre fois pour sa mère) ne le met pas à
l'abri d'un surmoi féroce qui fait surgir la menace impitoyable
de castration. Tout cela pour vous aider à percevoir comment le
désir incestueux et le fantasme du meurtre même refoulés
ne perdent rien de leur virulence et sont toujours là actifs dans
l'inconscient. La loi de la prohibition de l'inceste donne à notre
inconscient son lieu, sa structure.
Qu'est-ce qui fait la différence entre
un névrosé, comme le patient dont je viens de parler, et
un pervers? le pervers par son désaveu met en cause cette loi. Le
drame du pervers est de n'avoir pu faire face à la menace impudique
de la mère et de n'avoir pu se référer à un
père support de la loi. La mère a été son complice
à dénoncer la loi du père. Un tel déni met
en cause la légitimité du droit conféré par
la filiation.
La psychanalyse, elle, vise le processus de reproduction
de cette filiation. Le principe de filiation qu'est-ce que c'est?
Le principe de la généalogie est
que le fils succède au fils. On voit les dégâts qu'apporterait
le clonage a ce principe incontournable de la généalogie.
L'enjeu de l'interdit de l'inceste, c'est la capacité pour tout
être humain d'entrer dans des liens de filiation. Quel va être
pour le système symbolique l'effet de l'inceste réalisé?
Le caractère pathogène des incestes effectivement réalisés
tient à la confusion entre l'amour que l'enfant porte à son
père et l'accueil passif d'une jouissance incompréhensible.
Le pervers met sa préférence à tout ce qui satisfait
son plaisir. L'enfant victime du pervers fera à jamais confusion
entre la relation d'amour qu'il attend et la jouissance sauvage de l'adulte.
Il se verra frustré à jamais de son plaisir sexuel et privé
de cette référence au père dont il a attendu en vain
la protection. Pour l'enfant victime d'abus sexuel, l'oedipe ne représente
plus la valeur commune; il n'est plus marqué par l'interdit et il
est happé par l'arbitraire d'un autre sans frein et sans limite.
De nos jours, dans un climat de complicité et de délinquance
généralisée la fonction du père est ravalée
au rang de mesure thérapeutique. Les films pornographiques, nous
le savons, annule les effets de la parole mais ne libère pas des
effets du refoulement.
Une émission récente de Jean-Luc
Delarue, d'autre fois mieux inspiré, était intitulée
"La pudeur". Il a fait comparaître à cette occasion des jeunes
personnes... actrices de film pornographiques. Comme s'il était
indispensable d'afficher l'impudeur pour faire la démonstration
de ce qu'est la pudeur. Il a fallu qu'un psychanalyste fasse remarquer
qu'une autre jeune fille qui refusait de s'exhiber sur une plage n'était
peut-être pas celle qui avait besoin d'une psychothérapie...
Un très joli numéro de la revue
Autrement, le numéro 9, paru en 1994, avait traité ce même
sujet avec plus de finesse et de mesure. Il était intitulé"
la pudeur, la réserve et le trouble". Je vous en recommande la lecture.
Je continuerai cette rubrique sur l'inceste si elle vous intéresse. J'attends vos réactions. Inceste Numéro 2
Denise Vincent
Denise Vincent, psychanalyste de l'association
freudienne internationale.
Secrétaire de rédaction de la revue
de l'association freudienne : La psychanalyse de l'enfant.
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: http://www.epsyweb.com