CINQ LECONS SUR LA PSYCHANALYSE
Première leçon:
Origine de la psychanalyse. Observation du Dr
Breuer. Les traumatismes psychiques.
Les hystériques souffrent de réminiscences. Le
traitement cathartique. L’hystérie de conversion.
...La malade du Dr
Breuer était une jeune
fille de vingt et un ans, très
intelligente, qui manifesta
au cours des deux années de sa maladie une série
de troubles physiques et mentaux plus ou moins graves. Elle
présenta une contracture
des deux extrémités droites avec anesthésie
; de temps en temps la même affection apparaissait aux
membres du côté gauche; en outre, trouble
des mouvements des yeux et
perturbations multiples de la capacité visuelle; difficulté
à tenir la tête droite ; toux
nerveuse intense, dégoût de toute nourriture et,
pendant plusieurs semaines, impossibilité
de boire malgré une
soif dévorante. Elle présentait aussi une altération
de la fonction du langage, ne pouvait ni
comprendre ni parler sa langue maternelle.
Enfin, elle était sujette à des "absences", à
des états de confusion,
de délire, d'atlétration
de toute la personnalité...
... On avait remarqué que dans
ses états d'absence, d'altération psychique avec
confusion, la malade avait l'habitude de murmurer quelques mots
qui semblaient se rapporter à des préoccupations
intimes. Le Dr Breuer se fit répéter ses paroles
et, ayant mis la malade dans une sorte d'hypnose, les lui répéta
mot à mot, espérant ainsi déclencher les
pensées qui la préoccupaient. La malade tomba
dans le piège et se mit à raconter l'histoire
...
... La malade elle-même qui, à
cette époque de sa maladie, ne parlait et ne comprenait
que l'anglais, donna à ce traitement d'un nouveau genre
le nom de : "talking cure"...
...Les symptômes morbides disparurent
aussi lorsque, sous l'hypnose, la malade se rappela à
quelle occasion ces symptômes s'étaient produits
pour la première fois. Il
y a avait eu, cet été-là, une période
de très grande chaleur,
et la malade avait beaucoup souffert de la soit, car, sans pouvoir
en donner la raison, il lui avait été brusquement
impossible de boire. Elle ne se nourrissait que de fruits, pour
étancher la soif qui la tourmentait. Cela durait depuis
environ six semaines, lorsqu'elle se plaignit un jour, sous
hypnose, de sa gourvernante anglaise qu'elle n'aimait pas. Elle
raconta alors, avec tous les signes d'un profond dégoût,
qu'elle s'était rendue dans la chambre de cette gouvernante
et que le petit chien de celle-ci, un animal affreux, avait
bu dans un verre. Elle n'avait
rien dit, par politesse. Son
récit achevé, elle manifesta violemment sa colère,
puis elle demanda à boire. Le trouble avait disparu pour
toujours.
... Dans presque chaque cas, il constata
que les symptômes étaient, pour ainsi dire, comme
des résidus d'expériences
émotives...
... La malade, les yeux pleins de larmes,
était assise auprès du lit de son père,
lorsque celui-ci lui demanda tout à coup quelle heure
il était. Les larmes l'empêchaient de voir clairement;
elle fit un effort, mit la montre tout près de son oeil
et le cadran lui apparut très gros (macropsie et strabisme
convergent); puis elle s'efforça
de retenir ses larmes afin que le malade ne les voie pas.
Toutes ces impressions pathogènes, remarquons-le, dataient
de l'époque où elle s'occupait de son père
malade. "Une fois, elle s'éveilla, la nuit, très
angoissée car le malade avait beaucoup de fièvre,
et très énervée car on attendait un chirurgien
de Vienne pour une opération. Sa mère n'était
pas là; Anna était assise au chevet du malade,
le bras droit posé sur le dossier de la chaise. Elle
tomba dans un état de demi-rêve et vit qu'un serpent
noir sortait du mur, s'approchait du malade pour le mordre.
(Il est très probable que, dans le pré,
derrière la maison, se trouvaient des serpents qui avaiet
déjà effrayé la malade et fournissaient
le thème de l'hallucination.) Elle
voulut chasser l'animal, mais elle était comme paralysée
; le bras droit, pendant sur le dossier de la chaise, était
"endormi", c'est-à-dire
anesthésié et parésié, et, lorsqu'elle
le regarda, les doigts se transformèrent en petits serpents
avec des têtes de mort (les ongles). Sans doute fit-elle
des efforts pour chasser le serpent avec la main droite paralysée,
et ainsi l'anesthésie et la paralysie s'associèrent-elles,
elle voulut, pleine d'angoisse, se mettre à prier, mais
la parole lui manqua, en quelque langue que ce fût. Elle
ne put s'exprimer qu'en retrouvant enfin une poésie
enfantine anglaise, et put
alors penser et prier dans cette langue. >>Le rappel de cette
scène, sous hypnose, fit disparaître la contracture
du bras droit qui existait depuis le commencement de la maladie,
et mit fin au traitement.
... Les hystériques souffrent
de réminiscences.
Leurs symptômes sont les résidus et les symboles
de certains événements (traumatiques). Symboles
commémoratifs, à vrai dire...
... Les hystériques se souviennent
d'événements douloureux passés depuis longtemps,
mais ils y sont encore affectivement attachés;
ils ne se libèrent pas du passé et négligent
pour lui la réalité et le présent. Cette
fixation de la vie mentale aux traumatismes pathogènes
est un des caractères les plus importants et, pratiquement,
les plus significatifs de la névrose.
... On put, d'autre part, constater que
le souvenir de la scène en présence du médecin
restait sans effet si, pour une raison quelconque, il se déroulait
sans être accompagné de ces affects que dépendent
et la maladie et le rétablissement de la santé.
On fut ainsi conduit à admettre que le patient, tombé
malade de l'émotion déclenchée par une
circonstance pathogène, n'a
pu l'exprimer normalement, et qu'elle est ainsi restée
"coincée". Ces affects
coincés ont une double
destinée. Tantôt
ils persistent tels quels et font sentir leur poids sur toute
la vie psychique, pour laquelle ils sont une source
d'irritation perpétuelle.
Tantôt il se transforment en processus physiques anormaux,
processus d'innervation ou d'inhibition (paralysie), qui ne
sont pas autre chose que les symptômes physiques de la
névrose. C'est ce que
ous avons appelé "l'hystérie
de conversion".
... Breuer se décida à
admettre que les symptômes hystériques auraient
été provoqués durant des états d'âme
spéciaux qu'il appelait "hypnoïdes".
Les excitations qui se produisent dans les états hypnoïdes
de ce genre deveinnent facilement pathogènes, parce qu'elles
ne trouvent pas dans ces états
des conditions nécessaires à leur aboutissement
normal. Il se produit alors
une chose particulière qui est le symptôme, et
qui pénètre dans l'état normal comme un
corps étranger. D'autant plus que le sujet n'a pas conscience
de la cause de son mal. Là où il y a un symptôme,
il y a aussi amnésie,
un vide, une lacune dans le souvenir, et, si l'on résussit
à combler cette lacune, on supprime par là même
le symptôme.
Deuxième leçon
: Conception nouvelle de l’hystérie. Refoulement et résistance.
Le conflit psychique. Le symptôme est le substitut d’une
idée refoulée. La méthode psychanalytique.
A peu près à l'époque où Breuer
appliquait sa "talking cure", Charcot
poursuivait, à la Salpêtrière, ses recherches
sur l'hystérie, qui devaient aboutir à
une nouvelle concetpion de cette névrose...
.. Nous fîmes alors de nos traumatismes psychiques les
équivalents des traumatismes physiques dont Charcot
avait établi le rôle dans le déterminisme
des paralysies hystériques. Et
l'hypothèse des états hypnoïdes de Breuer
n'est qu'un écho des expériences du professeur
français relatives à la production, sous hypnose,
de paralysies et tous points semblables aux paralysies traumatiques...
... La théorie de Janet
repose sur les doctrines admises en France relatives au rôle
de l'hérédité et de la dégénérescence
dans l'origine des maladies. D'après cet auteur, l'hystérie
est une forme d'altération dégénérative
du système nerveux, qui se manifeste par une
faiblesse congénitale de la synthèse
psychique. Voici ce qu'il entend par là : les hystériques
seraient incapables de maintenir en un seul faisceau les multiples
phénomènes psychiques, et il en résulterait
la tendance à la dissociation
mentale...
Freud renonce à l'hypnose
: ... Or, je n'aimais pas l'hypnose; c'est un procédé
incertain et qui a quelque chose de mystique. Mais lorsque j'eus
constaté que, malgré tous mes efforts, je ne pouvais
mettre en état d'hypnose qu'une petite partie de mes
malades, je décidai d'abandonner ce prcédé
et d'appliquer le traitement cathartique.
J'essayai donc d'opérer en laissant les malades dans
leur état normal... Je me souvins alors d'une expérience
étrange et instructive que j'avais vue chez Bernheim,
à Nancy... J'agis de même avec mes malades. Lorsqu'ils
prétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu'ils
savaient, qu'ils n'avaient qu'à parler, et j'assurais
même que le souvenir qui leur
reviendrait au moment où je mettrais la main sur leur
front serait le bon. De cette manière, je
réussis, sans employer l'hypnose, à apprendre
des malades tout ce qui était nécessaire pour
établir le rapport entre les scènes pathogènes
oubliées et les symptômes qui en étaient
les résidues... La preuve était faite que
les souvenirs oubliés ne sont pas perdus, qu'ils restent
en la possession du malade, prêts à surgir...Mais
il existe une force qui
les empêche de devenir conscients... J'ai appelé
refoulement ce processus
supposé par moi et je l'ai considéré comme
prouvé par l'existence indéniable de la résistance.
... Dans tous les cas observés on constate qu'un désir
violent a été ressenti, qui s'est trouvé
en complète opposition
avec les autres désirs de l'individu, inconciliable
avec les aspirations morales et
esthétiques de sa personne.
Un bref conflit s'est ensuivi; à l'issue de ce
combat intérieur, le désir
inconciliable est devenu l'objet du
refoulement,il a été
chassé hors de la conscience et oublié.
Puisque la représentation en question est inconciliable
avec "le moi" du malade, le refoulement se produit sous forme
d'exigences morales ou autres de la part de l'individu.
L'accepation du désir inconciliable ou la prolongation
du conflit auraient provoqué un malaise intense; le
refoulement épargne ce malaise,
il apparaît ainsi comme un moyen de protéger
la personne psychique.
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...l'examen d'autres malades hystériques et d'autres
névrosés nous conduit à la conviction
qu'ils n'ont pas réussi à refouler l'idée
à laquelle est lié leur désir insupportable.
Ils l'ont bien chassé de leur conscience et de leur
mémoire, et se sont épargné, apparemment,
une grande somme de souffrances, mais le désir refoulé
continue à subsister et il réapparaît
mais sous un déguisement qui
le rend méconnaissable; en d'autres termes,
l'idée refoulée est remplacée dans la
conscience par une autres qui lui sert de substitut, d'ersatz,
et à laquelle viennent s'attacher toutes les impressions
de malaise que l'on croyait avoir écartées par
le refoulement
Troisième leçon :
Le principe du déterminisme psychique. Le mot d’esprit.
Le complexe. Les rêves et leur interprétation.
L’analyse des rêves. Actes manqués, lapsus, actes
symptomatiques. Multiple motivation.
Le déterminisme
: Je ne pouvais pas me figurer qu'une idée surgissant
spontanément dans la conscience d'un malade, surtout
une idée éveillée par la concentration
de son attention, pût être tout à fait
arbitraire et sans rapport avec la représentation oubliée
que nous voulions retrouver...
... L'idée qui se présentait
à l'esprit du malade à la place de celle qu'on
cerchait à rappeler avait donc elle-même la valeur
d'un symptôme. C'était un substitut
nouveau, artificiel et éphémère de la
chose refoulée et qui lui ressemblait d'autant moins
que sa déformation, sous l'influence de la résistance,
avait été plus grande.
... Nous connaissons dans la vie psychique normale des situations
analogues qui conduisent à des résultats semblables.
Tel est le cas du mot d'esprit.
...Méthode de la libre association
: Il arrive parfois qu'elle semble échouer : le malade
s'arrête brusquement, hésite et prétend
n'avoir rien à dire, qu'il ne lui vient absolument
rien à l'esprit.. Elles paraissent suspendues parce
que le malade retient ou supprime l'idée qu'il vient
d'avoir, sous l'influence de résistance revêtant
la forme de jugements critiques. On évite cette difficulté
en avertissant le malade à l'avance et en exigeant
qu'il ne tienne aucun compte de cette critique...
... L'examen des idées spontanées qui se présentent
au malade, s'il se soumet aux principales règles de
la psychanalyse, n'est pas le seul moyen technique qui permette
de sonder l'inconscient. Deux autres procédés
conduisent au même but : l'interprétation
des rêves et celle des erreurs
et des lapsus.
Quatrième leçon:
Les complexes pathogènes. Les symptômes morbides
sont liés à la sexualité. La sexualité
infantile. L’auto-érotisme. La libido et son évolution.
Perversion sexuelle. Le complexe d’Œdipe.
... Même des savants qui s'intéressent à
mes travaux psychologiques inclinent à croire que j'exagère
la part étiologique du facteur sexuel... Mais l'expérience
montre que cela n'est pas.
... Le travail analytique n'écessaire pour expliquer
et supprimer une maladie ne s'arrete jamais aux événements
de l'époque où elle se produisit, mais remonte
toujours jusqu'à la puberté et à la première
enfance du malade; là, elle rencontre les
événements et tels impressions qui ont déterminé
la maladie ultérieure. Ce
n'est qu'en découvrant ces événements
de l'enfance que l'on peut expliquer la sensibilité
à l'égard des traumatismes ultérieurs,
et c'est en rendant conscients ces souvenirs généralement
oublié que nous en arrivons à pourvoir supprimer
les symptômes. Nous parvenons ici aux mêmes résultats
que dans l'étude des rêves, à savoir que
ce sont des désirs inélucatables
et refoulés de l'enfance qui ont prêté
leur puissance à la formation de symptômes
sans lesquels la réaction aux traumatismes ultérieurs
aurait pris un cours normal. Ces
puissants désirs de l'enfant, je les considère,
d'une manière générale, comme sexuels.
Mais je devine votre étonnement, bien naturel d'ailleurs.
-- Y a-t-il donc, demanderez-vous, une sexualité
infantile?...
... J'ai réussi moi-même, il y a peu de temps,
grâce à l'analyse d'un garçon de cinq
an qui souffrait d'angoisse à obtenir une image assez
complète des manifestations somatiques et des expressions
psychiques de la vie amoureuse de l'enfant à l'un des
premiers stades.
Cinquième leçon:
Nature et signification des névroses. La fuite hors
de la réalité. Le refuge dans la maladie. La
régression. Relations entre les phénomènes
pathologiques et diverses manifestations de la vie normale.
L’art. le transfert. La sublimation.
... Nous voyons que les hommes tombent malades quand, par
suite d'obstacles extérieurs ou d'une adaptation insuffisante,
la satisfaction de leurs besoins érotiques leur est
refuée dans la réalité. Nous voyons alorsqu'ils
se réfugient dans la maladie, afin de pouvoir, grâce
à elle, obtenir les plaisirs que la vie leur refuse.
Nous avons constaté que les symptômes
morbides sont une part de l'activité amoureuse de l'individu,
ou même sa vie amoureuse tout entière; et s'éloigner
de la réalité, c'est la tendance captiale, mais
aussi le risque capital de la maladie. Ajoutons que la résistance
de nos malades à se guérir ne relève
pas d'une cause simple, mais de plusiseurs motifs. Ce
n'est pas seulement le "moi"
du malade qui se refuse énergiquement à abandonner
des refoulements qui l'aident à se soustraire à
ses dispositions originelles; mais les instincts
sexuels eux-mêmes ne
tienne nullement à renoncer à la satisfaction
que leur procure le substitut fabriqué par la maladie...
...Dans certaines conditions favorables il peut encore trouver
un autre moyen de passer de ses fantaisies à la réalité,
au lieu de s'écarter définitivement d'elle par
régression dans le domaine infantile; j'entends que,
s'il possède le don artistique, psychologiquement si
mystérieux, il peut, au lieu de symptômes, transformer
ses rêves en créations esthétiques. Ainsi
échappe-t-il au destin de la névrose et trouve-t-il
par ce détour un rapport avec la réalité.
Quand cette précieuse facluté
manque ou se montre insuffisante, il devient inévitalbe
que la libido parvienne, par régression, à la
réapparition des désirs infantiles, et donc
à la névrose.
Je dois encore mentionner le fait le plus important qui confirme
notre hypothèse des forces instinctives
et sexuelles de la névrose. Chaque
fois que nous traitons psychanalytiquement un névrosé,
ce dernier subit l'étonnant phénomène
que nous appelons "transfert".
Cela singifie qu'il déverse sur le médecin un
trop-plein d'excitations affectueuses, souvent mêlées
d'hostilité. La façon dont elles
appraissent, et leurs particularités, montrent qu'elles
dérivent d'anciens désirs du malade devenus
inconscients.
CONTRIBUTION A L’HISTOIRE DU MOUVEMENT
PSYCHANALYTIQUE
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Dans la
Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique
(1914) [deuxième partie du livre], Freud retrace les
débuts difficiles de la psychanalyse et les résistances
qu’elle rencontra. Il précise sa réflexion sur
quelques point litigieux, liés principalement au concept
de « libido ».
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